« Il faut contrer les inégalités sexistes dans les normes pour maintenir la confiance dans la normalisation »
Texte publié à l’origine dans le numéro du 06/2024 e-tech d’IEC « We need to address the gender gap in standards to maintain trust in standardization » | IEC e-tech

Michelle Parkouda est gestionnaire de la recherche au Conseil canadien des normes (CCN) et coresponsable du groupe consultatif mixte ISO/IEC sur les normes tenant compte des questions de genre. Elle s’exprime sur l’importance des normes tenant compte des questions de genre pour maintenir la confiance dans la normalisation, les défis auxquels le CCN est confronté et comment la cuisine l’aide à se détendre.
Quelle est l’importance des normes tenant compte des questions de genre pour l’IEC?
Ces normes sont très importantes pour l’IEC. L’IEC a signé la Déclaration sur les normes et l’élaboration des normes tenant compte des questions de genre de la CEE-ONU en 2019, l’année même de la publication de la déclaration. L’IEC est ensuite passée à l’action : en collaboration avec l’ISO, il a créé le Groupe consultatif stratégique mixte sur les normes tenant compte des questions de genre, qui a élaboré des orientations pour aider les comités techniques à s’assurer que les normes qu’ils élaborent peuvent être efficaces pour tous les sexes. Les recherches que j’ai menées ont démontré que les normes ne protégeaient pas les femmes aussi bien que les hommes. Un écart injustifiable. L’IEC a montré par ses actions qu’elle s’engageait à contrer les inégalités entre les sexes pour que tout le monde puisse profiter pleinement de la normalisation.
Les normes tenant compte des questions de genre inspirent-elles confiance dans la normalisation?
Nous disons souvent des normes que ce sont des infrastructures invisibles. Nous tenons pour acquis que les produits et les services sont normalisés et qu’ils fonctionnent comme il faut. Et pour la plupart, c’est le cas, c’est pourquoi nous avons cette attente. Cependant, l’on constate de plus en plus souvent que les normes ne fonctionnent pas toujours aussi bien pour les femmes. Au cours de la pandémie, il est devenu manifeste que les normes relatives aux équipements de protection individuelle n’étaient pas suffisamment inclusives. La Commission européenne s’est penchée sur la question et a examiné le caractère inclusif des normes comportant des éléments anthropométriques (ou des mesures du corps humain) et a constaté qu’elles présentaient de graves lacunes. Nous savons qu’il existe des inégalités sexistes dans le domaine de la normalisation, et nous devons y remédier pour maintenir la confiance dans le domaine.
En tant que coresponsable du Groupe consultatif stratégique mixte sur les normes tenant compte des questions de genre, quelles sont vos recommandations?
Les normes englobent tant de sujets que personne ne peut déterminer toutes les répercussions sur l’égalité des sexes. Si nous voulons des normes véritablement égalitaires, je pense que l’essentiel, c’est de poser des questions. Nous devons aussi remettre en question les réponses que nous recevons et poser de nouvelles questions. Quelles sont les preuves fournies? Quelle est la solidité des résultats? La source est-elle fiable?
Les orientations du Groupe peuvent nous aider à déterminer les questions à poser. Les répercussions sur l’égalité des sexes ne sont pas toujours évidentes, et il faut parfois explorer en détail les effets en aval. Les orientations recommandent de supposer que les sexes ont des besoins différents, car, malheureusement, on a trop souvent supposé automatiquement qu’il n’y avait pas de différences entre les sexes, ce qui entraîne de nombreux problèmes.
Par exemple, la négligence des différences entre les sexes a causé le rappel de médicaments qui n’avaient été testés que sur des hommes et qui causaient des effets indésirables sur les femmes. Tirons les leçons de ces expériences et arrêtons de supposer que ce qui est pensé pour les hommes servira aussi aux femmes.
Vous êtes également membre du Comité consultatif sur la diversité de l’IEC. Pouvez-vous expliquer le travail de ce comité?
Le Comité s’efforce d’améliorer la diversité dans la gouvernance de l’IEC. En matière de diversité, il se concentre sur trois domaines : l’égalité des sexes, les catégories d’intervenantes et intervenants et la géographie. Nous examinons régulièrement la composition démographique des comités et proposons des conseils pour en améliorer la représentation. L’IEC et le Comité reconnaissent que la diversité est une plus-value. La garantie d’une large représentation aux comités de gouvernance de l’IEC réunit une grande pluralité de points de vue, ce qui éclaire les décisions et entraîne de meilleurs résultats pour l’IEC.
Comment le CCN participe-t-il à la promotion des normes tenant compte des questions de genre?
Je suis très fière du travail accompli par le CCN pour soutenir ces normes. Il a joué un rôle de premier plan à l’international et fait rayonner les recommandations formulées par le Groupe consultatif stratégique mixte. Mais le CCN ne s’est pas contenté de dire aux autres d’agir : il a également intégré ces normes dans son propre travail.
Je participe dans l’élaboration de ces normes depuis plusieurs années et, si nous avons toujours bénéficié du soutien de notre directrice générale, j’ai également constaté que le soutien à tous les niveaux de l’organisation s’était accru. Voilà l’une de nos plus grandes forces : le travail n’a pas été marginalisé; au contraire, le personnel du CCN mise sur ces normes et pose des gestes concrets s dans ses domaines de responsabilité.
Pouvez-vous donner un exemple des recherches que vous avez menées au CCN sur l’égalité des sexes dans les normes?
Bien sûr! Notre premier projet de recherche sur ce sujet a porté sur la différence de protection des hommes et des femmes. Nous avons constaté que les pays qui s’engageaient davantage dans l’élaboration de normes comptaient moins de fatalités masculines attribuables à des blessures accidentelles, mais que le niveau de participation ne se répercutait pas sur le nombre de fatalités féminines. Cette recherche a permis de montrer que cette inégalité dans les normes avait des conséquences réelles.
Plus récemment, nous avons mené des recherches montrant que la participation des femmes à l’élaboration des normes améliorait le travail des comités techniques. Dans ce cas, il n’était pas question des normes tenant compte des questions de genre, mais au fonctionnement général du comité. Ce résultat est conforme aux recherches menées dans d’autres domaines, qui montrent les avantages de la diversité des sexes. Les inégalités dans la normalisation se font ressentir, et la recherche joue un rôle important dans sa quantification. Elle montre qu’il ne s’agit pas d’un problème inventé.
Pour le CCN, quels sont les grands défis qui se pointent à l’horizon?
Je pense qu’à l’instar d’autres organismes de normalisation, le CCN encadre l’évolution du système de normalisation continue pour répondre aux considérations nouvelles et émergentes. Nous devons élaborer des normes qui s’adaptent aux changements technologiques effrénés et qui assurent la pertinence du système.
Le CCN connaît la valeur que la normalisation apporte aux administrations, aux entreprises et au public, et il tient à informer les parties concernées des avantages des normes. Nous faisons valoir nos priorités, accueillons de nouvelles personnes dans le système de normalisation et continuons à œuvrer utilement pour le Canada.
Quelles sont les priorités et la stratégie du CCN?
En 2022, le CCN a publié sa Stratégie nationale de normalisation. La stratégie a été élaborée à l’issue d’une vaste consultation pour garantir que le CCN réponde à la conjoncture mondiale, aux intérêts nationaux et aux besoins des diverses parties intéressées. La stratégie définit les secteurs prioritaires pour le CCN, notamment les changements climatiques et la durabilité, l’économie numérique, la stabilité de la chaîne d’approvisionnement ainsi que la santé et la sécurité. La stratégie se concentre également sur la durabilité du système, ce qui nécessite de faire de la normalisation un système qui représente la diversité de la population du Canada.
Que faites-vous pour vous détendre?
Je suis matinale, et c’est peut-être un peu étrange, mais j’essaie de me détendre en commençant la journée du bon pied. J’aime aller courir ou faire du vélo le matin. Mes enfants vont à l’école, alors le fait de sortir le matin me donne un peu de tranquillité et me permet de laisser mon esprit vagabonder. C’est souvent lorsque je ne pense pas délibérément à quoi que ce soit que je trouve des idées pour mon travail. Si la journée a vraiment déraillé, ce qui arrive, je cuisine le soir. Dans le domaine de la recherche, on ne sait pas toujours comment les choses vont se passer ni comment le travail sera reçu. Avec la cuisine, on obtient un produit tangible, et le renforcement positif de ma famille ne fait pas de mal non plus.
Michelle Parkouda est gestionnaire de la recherche au Conseil canadien des normes (CCN), où elle est chargée de diriger les recherches démontrant la valeur économique et sociale de la normalisation. Elle est membre du Comité consultatif sur la diversité de l’IEC, coresponsable du groupe consultatif mixte ISO/IEC et présidente de l’équipe de spécialistes sur les normes tenant compte des questions de genre au sein du Groupe de travail no 6 de la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU).
Elle a publié des travaux de recherche sur l’égalité des sexes, la diversité, le commerce et les normes. Elle est titulaire d’un doctorat en psychologie expérimentale de l’Université McGill.