Entretien avec Elias Ghannoum, lauréat du prix Lord Kelvin de l'IEC
Lauréat de l’édition 2024 du prix Lord Kelvin, Elias Ghannoum est le deuxième Canadien parmi les 39 récipiendaires de cette distinction. Il assisté à la cérémonie de remise des prix, tenue en marge de l’assemblée générale de l’IEC, à Édimbourg. L’événement coïncidait avec le 200e anniversaire de Lord Kelvin.
Ingénieur établi à Montréal, M. Ghannoum possède plus de 53 ans d’expérience des lignes de transmission aériennes. Il a travaillé 27 ans à Hydro-Québec, où il encadrait la division d’élaboration et de normalisation des lignes aériennes pendant deux décennies. À l’international, ses services ont été sollicités par une bonne soixantaine d’exploitants de réseaux de transmission et de services d’utilité publique, notamment en Grèce, en Inde, en Afrique du Sud, aux États-Unis et au Brésil.
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De gauche à droite : François Coallier, président du conseil d’administration du CCN, Chantal Guay, directrice générale du CCN, Elias Ghannoum, lauréat du prix Lord Kelvin, et Colin Clark, président du Comité national du Canada de l’IEC. |
Fort d’un parcours de plus de 45 ans auprès de l’IEC, M. Ghannoum a présidé le comité technique IEC/TC 7 – Conducteurs pour lignes aériennes pendant 30 ans. Il a aussi animé de nombreux groupes de travail de ce comité et du comité TC 11. Enfin, mentionnons son rôle d’impulsion dans l’élaboration des normes IEC 61089 et IEC 60826 sur les câbles et les lignes aériennes.
Comment êtes-vous arrivé à la normalisation?
En 1969, après mes études en génie et deux ans de métier, j’ai quitté la Syrie avec ma femme pour m’installer au Canada. L’Université de Sherbrooke m’avait offert une bourse pour faire une maîtrise en génie civil et structurel, et mon projet de recherche comparait la conception technique de bâtiments qui se conformaient aux normes canadiennes, états-uniennes et russes. Ce projet a abouti à ma première publication scientifique en 1972. L’année antérieure, j’avais embarqué à Hydro-Québec et convaincu la direction de délaisser les méthodes de conception de lignes déterministes pour adopter, en 1976, un modèle qui tenait compte de la variabilité statistique du régime et de l’intensité du courant. J’ai ensuite intégré le groupe de travail du Conseil international des grands réseaux électriques sur la sûreté des lignes et rédigé deux articles évalués par un comité de lecture expliquant la nouvelle méthode à l’Institute of Electrical and Electronic Engineers (IEEE). L’adoption de cette méthode par ces deux organismes a fini par orienter l’élaboration de la norme IEC 60826.
Que signifie pour vous le prix Lord Kelvin?
Obtenir ce prix, c’est un grand honneur, et c’est une source de fierté d’avoir été sélectionné dans un bassin de plus de 30 000 expertes et experts issus d’au moins 170 pays. Mais ce n’est pas qu’un honneur personnel. Colin Clark, le président du Comité national du Canada de l’IEC, m’a dit qu’il s’agissait d’une grande réalisation pour moi, pour le Canada et pour la normalisation tout entière. Ces propos correspondent à mon sentiment : le prix met en valeur mes apports aux normes sur les lignes aériennes et les conducteurs, ainsi que mes longues collaborations et mes démarches pour normaliser la conception des lignes et mitiger les conséquences des pannes en cascades, avec à la clé l’amélioration de la fiabilité et de la sûreté des réseaux électriques.
Comment est-ce que les normes rejaillissent sur le bien-être sociétal?
Les normes contribuent puissamment au dynamisme de la société, car elles assurent la fiabilité, la sécurité et la sûreté des lignes de transmission. Un exemple : j’ai collaboré à la rédaction de la norme IEC 60826, où il était question d’analyser les pannes totales et de contrer les effets de la météo et les défectuosités des composants. L’encadrement rigoureux que nous proposent les normes prévient les grandes pannes et favorise la résilience des réseaux de transmission, ainsi que la sûreté des travaux d’entretien, tout en équilibrant les coûts de fiabilisation et les risques de panne. En fin de compte, les normes protègent le parc d’infrastructures, mais aussi les personnes.
Lord Kelvin était un des premiers partisans de l’éolien. De nos jours, le monde entier prépare à toute allure un avenir durable en misant sur les Objectifs de développement durable de l’ONU. Les normes, bien sûr, jouent un rôle névralgique dans ces démarches. Comment votre travail s’arrime-t-il à l’Objectif 11, qui favorise l’inclusion, la sûreté, la résilience et la durabilité dans nos villes?
Mes collaborations auprès du comité technique IEC/TC – Conducteurs pour lignes aériennes et IEC/TC 11 – Lignes aériennes soutiennent cet objectif par l’impulsion de la durabilité, de la résilience et de la sûreté du parc d’infrastructures. Notre souci d’utiliser des matériaux réutilisables comme l’aluminium et d’adapter les normes aux variations climatiques nous permet de concevoir, sans coûts démesurés, des lignes de transmission résistantes aux épisodes météorologiques extrêmes. Cette démarche réfléchie sert à prévenir les grandes pannes et soutient la durabilité du développement urbain.
Mentionnons aussi que la mise en place de dispositifs de sûreté pour limiter l’intensité du courant et éviter les pannes en cascades renforce la résilience des réseaux, ce qui se traduit par des gains de sûreté et de durabilité pour les villes. La tempête de glace qui a sévi au Québec en 1998 et d’autres épisodes météorologiques destructeurs ont mis en valeur l’importance de ces normes pour l’adaptation et la résilience climatique globales.