Proposer des solutions concrètes : marier équitabilité et résilience climatique dans le parc d’infrastructures
Article de Stéphanie Poirier, analyste principale des politiques, Conseil canadien des normes
Une conversation fortuite transformatrice
Tout a commencé par une rencontre fortuite. J’ai participé à un appel où Sarah Cunningham du ministère de la Gestion des urgences et de la Préparation aux changements climatiques de la Colombie-Britannique, recrutait des membres pour un groupe de travail. Nous avons déterminé qu’une collaboration avec le Conseil canadien des normes (CCN) ne convenait pas, mais Mme Cunningham m’a demandé si je connaissais des normes pouvant servir à appliquer la méthode Analyse comparative entre les sexes Plus ou un cadre d’équité au parc d’infrastructures.
Rien ne me venait à l’esprit, donc j’ai fait des recherches. Mes trouvailles m’ont surprise.
J’ai trouvé beaucoup de déclarations de valeurs et d’engagements, mais peu de conseils pratiques. De nombreuses déclarations du type « nous croyons en l’équité », mais rien qui aidait à comprendre comment la réaliser.
J’ai continué à réfléchir à mes échanges avec Mme Cunningham, car les changements climatiques ne nous touchent pas tous de la même manière. C’est ce qu’on appelle un multiplicateur de menaces, car ils aggravent les inégalités existantes. Malgré cela, les décisions sur les infrastructures négligent souvent (exprès, parfois, mais aussi par mégarde) les groupes d’utilisatrices et utilisateurs les plus touchés : les peuples autochtones, les femmes, les personnes indigentes, nouvellement arrivées ou âgées, etc.
J’ai constaté qu’il fallait mieux faire.
De l’idée au concret

Cette conversation a donné le coup d’envoi à l'élaboration du Guide sur l’application de l'inclusion, de la diversité, de l'équité et de l'accessibilité au sein des infrastructures résilientes aux changements climatiques, réalisé par le Diversity Institute avec le soutien du CCN et du Conseil de gouvernance numérique. Le document s’adresse aux municipalités et aux autres parties s’intéressant à la planification des infrastructures en général et à l’adaptation climatique en particulier.
Pour ne pas aboutir à un autre cadre théorique, nous avons commencé en tendant l’oreille. J’ai parlé avec des ingénieures et ingénieurs, des personnels municipaux, des décideuses et décideurs politiques et d’autres gens du milieu. Même son de cloche : on veut faire ce qu'il faut faire, mais on ne sait pas comment s’y prendre.
Plus concrètement, on ne savait pas quelles questions poser ni quelles données utiliser. Et s’il y avait des données, on ne savait pas quoi en faire.
De là est parti notre projet, adapté aux besoins pour proposer des solutions concrètes.
On ne peut tout faire, mais on peut faire quelque chose
Le guide, même s’il comprend une liste de contrôle, n’est pas fait pour cocher des cases ou atteindre des objectifs arbitraires. Il se veut plutôt un outil pratique pensé pour encadrer des enjeux importants et impulser les réflexions autour de l’intégration de l’inclusion, de la diversité, de l’équité et de l’accessibilité dans votre travail de manière systématique. Conçu pour être facile à utiliser et adaptable, il vous incite à vous poser les questions suivantes : Avons-nous considéré l’option A? Et l’option B? Comment abordons-nous l’option C dans notre contexte actuel?
Foncièrement flexible, le cadre vous guide à travers les points clés du cycle de vie de l’infrastructure (planification, sensibilisation, exécution) et pose des questions pertinentes et pratiques à chaque étape du processus : Qui sont les personnes touchées? Vous adressez-vous aux bonnes personnes? Les collations et les honoraires sont-ils budgétisés pour les activités de sensibilisation? Votre espace de réunion est-il accessible? Vos communications sont-elles rédigées dans les langues que parlent réellement les membres de votre communauté?
Même les petits gestes peuvent retentir. On me l’a dit dès le début, il faut entamer un virage, expression que je retiens encore. L’idée, ce n’est pas la perfection, mais le progrès.
Une question incontournable
Si nous ignorons l’inclusion, la diversité, l’équité et l’accessibilité, l’on exclut des gens. Et dans notre conjoncture climatique, laisser quelqu’un pour compte, c’est l’exposer à des dangers.
Pensons aux canicules. Les lieux d'accueil climatisés peuvent sauver des vies, à condition de pouvoir s’y rendre, s’y sentir en sécurité et y amener ses animaux de compagnie et ses effets personnels… sinon, on reste dehors dans une chaleur torride. Pensons encore aux inondations. Si l’on vit à l’étage, les dommages pourraient ne pas être trop graves. Si l’on vit dans un sous-sol, on risque de tout perdre.
La résilience climatique ne se limite pas aux infrastructures. Il faut penser aux gens et reconnaître que certaines personnes sont plus fragilisées et ont besoin de différents types de soutien pour rester en sécurité et se rétablir. Et d’ailleurs, la prise en compte de l’équité climatique présente ne fait pas que prévenir les dommages. Elle peut aussi renforcer les liens de confiance au sein des collectivités, limiter la responsabilité civile et entraîner un rendement important par rapport au capital investi.
Une définition de la réussite
Réussir, ce n’est pas tout faire d’un coup. C’est commencer, tout simplement. Par exemple, une municipalité pourrait utiliser le guide pour modifier ses démarches de consultation publique. Ou nouer des relations étroites avec les peuples autochtones de la région. Ou utiliser les directives pour donner du mérite à une demande de financement.
Pour moi, réussir, ce serait entendre le témoignage d’une petite municipalité qui a utilisé le guide et réalisé du concret : une hausse de l’engagement civile, des partenariats resserrés, des infrastructures plus inclusives. Voilà la vocation du projet.
Les métropoles disposant sans doute de plus de personnels et de ressources, j’espère que le guide que ce guide sera lu dans les petites villes qui valorisent l’inclusion, la diversité, l’équité et l’accessibilité, mais qui ont besoin des conseils clairs et pratiques pour se lancer.
Car si nous souhaitons faire rayonner l'équité dans le parc d’infrastructures, nul besoin de tout faire partout. Il suffit de commencer à rassembler les efforts peu à peu.