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Toronto city skyline

Patricia McCarney, animatrice d’un comité technique de l’ISO et championne de la normalisation des données pour des villes durables

Selon ses propres mots, Patricia McCarney est une « maniaque des données » devenue « maniaque de l’ISO ». Elle est fermement convaincue que la normalisation internationale des données est le carburant qui permettra aux villes d’évoluer.

« Je suis urbaniste dans l’âme, et je crois qu’il faut donner aux agents de changement les données dont ils ont besoin. Ce n’était pas mon rêve de participer à des réunions de six heures pour préparer une énième norme ISO, mais il faut ce qu’il faut, parce qu’on en a besoin. Je l’ai toujours dit : le municipal, c’est la clé. »

Elle a commencé son parcours professionnel comme chercheuse après avoir décroché un doctorat au MIT, et a travaillé à l’Organisation des Nations Unies à Nairobi, à la Banque mondiale à Washington, puis comme professeure à l’Université de Toronto. « Ces trois volets de ma carrière m’ont confirmé la nécessité de normaliser les données. »

Patricia McCarney anime le groupe de travail 2 sur les indicateurs urbains du comité technique ISO/TC 268 depuis 2012. Même si elle n’avait jamais entendu parler de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) ni du Conseil canadien des normes (CCN) avant 2010, elle comprend depuis longtemps que les villes manquent de données de haute qualité normalisées à l’international. 

« J’ai saisi très vite qu’il y avait un manque à combler, aussi bien comme chercheuse qu’à la Banque mondiale. Par exemple, cette dernière finançait de grands projets d’infrastructure au Kenya, en Afrique du Sud, en Colombie et en Malaisie, mais les données disponibles sur le terrain pour éclairer les investisseurs étaient souvent médiocres et manquaient de cohérence. Comme elles n’étaient pas normalisées, tenter de comparer les villes entre elles revenait à comparer des pommes avec des oranges. »

Le manque de fiabilité des données à l’échelle municipale compliquait beaucoup la vie aux décideurs tentant d’investir dans les villes; c’est pourquoi la Banque mondiale a demandé à Mme McCarney de s’attaquer au problème. Cette dernière a donc créé le Global Cities Institute (à l’Université de Toronto) pour définir les critères à employer pour recueillir des données comparables, puis les a soumis à un projet pilote.

« Pour seulement neuf villes, nous avons trouvé 1 100 indicateurs, dont seulement deux étaient comparables. Cela a marqué un tournant. »

Parmi les indicateurs impossibles à comparer figurait le délai d’intervention en situation d’urgence. Le problème, c’est que certaines villes le mesuraient à partir du départ du véhicule d’urgence, alors que d’autres partaient de l’heure de l’appel aux services d’urgence. Cela pouvait représenter un écart de plusieurs minutes entre deux villes, donnant faussement l’impression que l’une était inférieure à l’autre à cet égard.

Dans la foulée du projet pilote, on a élagué la liste d’indicateurs pour en retenir 100 parmi les plus importants, en consultation avec 200 villes du monde entier. « Cette consultation nous a permis de constater que ce que nous avions ressemblait déjà à une norme, avec des définitions, des méthodologies, des lignes directrices. C’était donc logique de nous tourner vers l’ISO. »

L’ISO a alors décidé de créer le comité technique 268 sur les villes et communautés territoriales durables, et demandé à Patricia McCarney d’animer le groupe de travail 2, consacré à la définition d’indicateurs de rendement clés pour les villes. Depuis, le groupe a publié la première norme internationale sur les données municipales, ISO 37120 Villes et communautés territoriales durables – Indicateurs pour les services urbains et la qualité de vie, de même que deux autres, ISO 37122 Villes et communautés territoriales durables – Indicateurs pour les villes intelligentes et ISO 37123 Villes et communautés territoriales durables – Indicateurs de performance pour les villes résilientes. L’ensemble constitue la série ISO 37120 sur les villes.

Bien que les données recueillies par les villes selon ces normes aient de nombreuses utilités, elles sont notamment pertinentes pour le développement économique et la planification stratégique. « Les villes utilisent ces données pour attirer des investissements et se donner une stratégie de développement économique, ainsi que pour faciliter l’atteinte de leurs objectifs stratégiques. » En se donnant des données de haute qualité, les villes peuvent mieux mesurer l’incidence concrète de leurs investissements. « Les données aident les instances supérieures à décider où les fonds sont le plus nécessaires. Elles peuvent mesurer, par exemple, la qualité de l’eau potable ou du drainage des eaux pluviales, et constater le résultat de leurs investissements. » 

À l’heure où le monde doit composer avec les changements climatiques et tente de mesurer ses progrès dans la poursuite des objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations Unies, ce type de données est plus nécessaire que jamais. La série ISO 37120 aide les villes à adapter à l’échelle locale les objectifs mondiaux et nationaux de développement durable.

Le groupe de travail 2 s’apprête à publier une nouvelle norme ISO sur les indicateurs ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) pour les villes.

« Les villes disent avoir besoin d’un cadre ESG parce qu’elles veulent être responsables devant leurs citoyens, et pour certaines d’entre elles, accélérer leur capacité de délivrer des obligations et être plus responsables envers les investisseurs sur les marchés de débentures. » Les débentures sont des types d’obligations ou d’autres instruments de crédit sans garantie.

Patricia McCarney s’est jointe au comité directeur du comité consultatif canadien sur la normalisation en ESG pour promouvoir la coordination et la collaboration entre les représentants sectoriels du Canada afin de formuler des commentaires et des conseils sur les grandes priorités et lacunes en ESG dans différents secteurs, qui pourraient être traitées par le système de normalisation. Les recommandations du groupe de travail seront publiées par le CCN en juin. Mme McCarney copréside également, au nom du Canada, le comité de coordination ESG de l’ISO avec le Royaume-Uni et le Brésil; ce comité conseille l’ISO quant à ses activités stratégiques et techniques en ESG.

Pour elle, ce travail international de normalisation ESG à l’ISO tombe à point, et l’ISO est au cœur de la promotion de normes fiables à l’avant-scène de ce marché international.

Il est aussi essentiel que l’ISO se penche sur l’ESG à l’échelle municipale. Les villes ont besoin de cadres normalisés à l’international, et le groupe de travail du comité technique ISO/TC 268 continuera à créer des cadres d’indicateurs qui pourront aider les villes à attirer des investissements en infrastructure pour une meilleure résilience, à prendre des mesures d’atténuation des changements climatiques, à se donner des modes de transport verts, et à investir dans le logement abordable pour créer des villes plus durables. Les villes sont la clé d’un avenir plus écologique.

« Ce type de données est essentiel; il change la culture des villes et améliore la vie quotidienne des citoyens. Je crois vraiment que ce travail est un moteur constant de changement, et qu’il est plus important que jamais en cette époque où nos villes sont de plus en plus frappées par des défis mondiaux décisifs. »