Le pouvoir et la promesse de l’IA : équilibrer l’innovation, la durabilité et l’intégrité des données au profit de l’action climatique
Par : Emilie Sartoretto et Tom Lebrun
L’intelligence artificielle (IA) transforme les secteurs grâce à des solutions novatrices facilitant les veilles climatiques, la conservation de la biodiversité et l’efficacité énergétique. Capable d’analyser d’immenses ensembles de données, l’IA est susceptible d’impulser les efforts de durabilité à l’échelle mondiale.
Or le progrès entraîne son lot de conséquences. La consommation croissante d’énergie et d’eau requise pour alimenter les centres de données et la demande du secteur de l’information pour les modèles d’IA comme GPT-3 ont une incidence importante sur l’environnement. Former de tels modèles exige une consommation d’électricité comparable à l’alimentation de 130 foyers états-uniens par année, accentue la pression sur des réseaux d’alimentation déjà à court de souffle et contribue aux émissions de gaz à effet de serre.
De plus, le bon fonctionnement de l’IA repose essentiellement sur la qualité des données. Les données médiocres peuvent entraîner des modèles défectueux et réduire l’efficacité de l’IA dans les grands dossiers comme les changements climatiques. L’empreinte environnementale s’accentuant à mesure que progresse l’adoption de telles technologies, il est primordial de veiller à la précision, l’uniformité et la fiabilité des données dont se nourrit l’IA de sorte à maximiser les résultats positifs.
D’où l’importance des normes et de l’IA écoefficace : elles aident à équilibrer la promesse de l’IA avec la consommation de ressources tout en veillant à ce que les modèles soient fondés sur des données fiables et normalisées.
L’IA frugale pour surmonter le manque de ressources
Alors que les demandes énergétiques de l’IA augmentent, une nouvelle approche – l’IA frugale – fait surface pour concevoir des systèmes efficaces et écoresponsables. Ce type d’IA se penche sur la réduction de la consommation des ressources et l’optimisation des avantages de l’IA.
Des normes comme la spécification 2314 sur l’IA frugale de l’AFNOR (en anglais) fournissent des pratiques exemplaires pour réduire l’empreinte environnementale de l’IA et mettent en valeur l’efficacité énergétique, la modération grâce à la conception et l’optimisation des modèles d’IA au profit d’un fonctionnement durable.
Cette approche incite les développeurs d’IA à évaluer attentivement si l’IA est le meilleur outil pour résoudre un problème donné, et à trouver des façons de l’utiliser plus efficacement pour réduire les empreintes carbone et eau des systèmes d’IA. En intégrant des pratiques d’IA frugale, nous veillons à ce que l’innovation dans le secteur soit harmonisée avec les objectifs de durabilité et qu’elle réduise les concessions écologiques face au progrès.
Les normes et les données, la pierre d’assise de solutions d’IA efficaces
Le succès de l’IA dans l’action climatique repose non seulement sur la technologie, mais aussi sur la qualité des données utilisées. Des donnes médiocres peuvent entraîner des modèles d’IA défectueux, voire des décisions inefficaces ou nuisibles. Les normes veillent à ce que les données qui alimentent l’IA soient fiables, uniformes et adaptées aux besoins pour inspirer confiance dans les solutions climatiques propulsées par l’IA.
Un bel exemple de l’encadrement normatif de la qualité des données : la collaboration entre le CCN et Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) pour améliorer les systèmes de surveillance météorologiques au Canada. Des données météorologiques fiables sont cruciales pour concevoir des infrastructures adaptées aux changements climatiques et améliorer la précision des prévisions de l’IA.
Puisque la demande de données météorologiques localisées a augmenté (les provinces, municipalités et universités y ayant contribué), le CCN a encadré l’élaboration d’une série de quatre normes pour veiller à l’uniformité et à la fiabilité des données météorologiques recueillies à l’échelle du pays.
Ces normes abordent des éléments clés comme les métadonnées, la sélection du site, l’installation des instruments et l’évaluation de la qualité des données pour que les stations météorologiques répondent aux critères normalisés. Cette collaboration s’arrime aussi à la feuille de route pour l’intégration de l’intelligence artificielle d’ECCC, qui intègre l’IA dans les systèmes de prévision numérique du temps et de l’environnement et souligne l’importance des données de haute qualité pour améliorer l’exactitude des modèles d’IA et rehausser les efforts en matière de résilience climatique.
Voici d’autres normes et lignes directrices internationales et nationales importantes qui jouent un rôle vital pour assurer la qualité des données utilisés par les systèmes d’IA dans l’action climatique :
- ISO 14064-1:2018 – Gaz à effet de serre – Partie 1 : Spécifications et lignes directrices, au niveau des organismes, pour la quantification et la déclaration des émissions et des suppressions des gaz à effet de serre
- ISO 14090:2019 – Adaptation au changement climatique – Principes, exigences et lignes directrices
- Lignes directrices sur la mise en commun de données (en anglais) de l’Organisation météorologique internationale (OMM), des normes mondiales sur le partage de données météorologiques, hydrologiques et climatiques en temps réel pour en assurer la fiabilité dans les modèles climatiques et les systèmes d’alerte précoce
- Normes du Groupe CSA pour les données des stations de surveillance hydrométéorologique, qui assurent l’uniformité de la collecte et de la mise en commun des données provenant de stations météorologiques de partout au Canada, améliorant ainsi la précision des veilles climatiques et des interventions
Ces normes et lignes directrices établissent la fondation des données uniformes dont les systèmes d’IA dépendent pour lutter contre les changements climatiques. La normalisation des pratiques de collecte et de gestion des données assurera le bon fonctionnement des solutions propulsées par l’IA et appuiera les objectifs en matière de durabilité.
Des études de cas sur des innovations propulsées par l’IA en faveur de l’action climatique
Plusieurs projets canadiens démontrent le potentiel de l’IA pour aborder les enjeux liés aux changements climatiques et à la durabilité, ainsi que le rôle des normes et des données de haute qualité. Ces projets mettent en évidence que le mariage de l’IA et l'encadrement serré des données peut entraîner des solutions climatiques percutantes.
Une équipe de recherche de l’Université de Moncton a élaboré un outil d’IA qui génère des chants d’oiseaux pour surveiller les espèces d’oiseaux rares. En développant les ensembles de données pour les espèces sous-représentées, l’outil améliore les modèles d’IA de surveillance des chants. De plus, des pratiques normalisées de collecte des données rehaussent la qualité de ces outils, ce qui les rend davantage efficaces pour conserver la biodiversité.
De manière semblable, la plateforme de données sur les insectes Antenna, élaborée par MILA, se sert de l’apprentissage automatique pour surveiller les populations d’insectes partout dans le monde. Des caméras haute résolution et des méthodes propulsées par l’IA outillent les équipes de recherche pour les crises en matière de climat et de biodiversité. L’application de données normalisées fait que de tels outils d’IA fonctionnent efficacement pour de nombreuses équipes dans des écosystèmes variés.
L’Université de Toronto encadre un autre projet visant à accélérer la découverte de matériaux performants grâce à l’IA, selon lequel des modèles analysent rapidement de grands ensembles de données pour trouver de nouveaux matériaux servant à la fabrication de batteries et de piles solaires. Le succès de ce projet repose sur l’intégrité des données, et l’application de normes internationales aide à atteindre des résultats reproductibles pour l’adoption de solutions écoénergétiques.
De tels projets font rayonner le potentiel de l’IA dans l’action climatique ainsi que l’importance d’utiliser des normes et des données de haute qualité pour multiplier les résultats. L’intégration de normes dans les projets d’IA favorise l’innovation tout en harmonisant les objectifs en matière de climat et de durabilité.
Suites à donner
Si les normes sont essentielles, elles ne sont qu’un élément de l’équation. Leur application exacte et uniforme est tout aussi importante. L’évaluation de la conformité accréditée joue un rôle primordial, puisqu’elle veille à l’application correcte des normes et assure ainsi la transparence, la confiance et la crédibilité des efforts dans la lutte contre les changements climatiques.
Mentionnons à titre d’exemple le Programme d’accréditation des organismes de vérification et de validation du CCN, qui assure l’exactitude et la fiabilité des déclarations environnementales en validant les démarches de durabilité futures et en vérifiant les déclarations antérieures. Ce processus est primordial pour différencier les efforts réels de l’écoblanchiment et définir clairement les rapports.
Pensons aussi au sous-programme du Règlement sur les combustibles propres (RCP). Mis en place en partenariat avec Environnement et Changement climatique Canada, le RCP favorise l’utilisation de technologies propres et de carburants à faible teneur en carbone partout au pays en définissant des cibles de réduction des gaz à effet de serre et un marché du crédit aux fins de conformité. Le CCN accrédite les organismes de vérification responsables d’évaluer les rapports requis en vertu du Règlement, ce qui favorise l’innovation, réduit les émissions et encourage l’adoption de technologies propres à l’échelle nationale.
Les organismes de vérification et de validation accrédités veillent à l’exactitude et à la fiabilité des données contribuant aux efforts de durabilité. Le lien entre les données vérifiées et l’IA met en valeur l’importance des normes, de l’accréditation et de l’assurance de la qualité pour atteindre les objectifs climatiques et libérer le potentiel de l’IA pour le bien public.
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Les auteurs
Emilie Sartoretto est conseillère en marketing et communications au Conseil canadien des normes. Elle travaille sur les initiatives mentionnées dans cet article, y compris sur des sujets comme l'économie numérique.
Tom Lebrun est analyste principal des politiques au Conseil canadien des normes, spécialisé dans la gouvernance de l'IA, la réglementation et la normalisation internationale. Il est également membre expert représentant le Canada au comité ISO/IEC JTC1 SC 42 – Intelligence artificielle.